48. Reading - La longue route
French Through Stories - Un pódcast de French Through Stories
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Mes dauphins nagent depuis plus de deux heures autour de Joshua. Les dauphins que j'ai rencontrés ont rarement joué plus d'une quinzaine de minutes avant de continuer leur chemin. Ceux-là resteront plus de deux heures, au complet. Quand ils sont partis, tous ensemble, deux d'entre eux sont restés près de moi jusqu'au crépuscule, cinq heures pleines au total. Ils nagent avec l'air de s'ennuyer un peu, l'un à droite, l'autre à gauche. Pendant trois heures ils nagent, comme ça, chacun sur son bord, sans jouer, en réglant leur vitesse sur celle de Joshua, à deux ou trois mètres du bateau. Jamais je n'avais vu ça. Jamais je n'ai été accompagné si longtemps par des dauphins. Je suis sûr qu'ils avaient reçu l'ordre de rester près de moi jusqu'à ce que Joshua soit absolument hors de danger. Je ne les regarde pas tout le temps, parce que je suis un peu épuisé par cette journée, cette tension énorme qu'on ne sent pas sur le moment, quand on doit mettre toutes ses tripes pour passer dans un nouvel océan. Je descends m'étendre un peu, je remonte, je relève l'indication du loch. Mes deux dauphins sont toujours là, à la même place. Je descends porter la dernière distance parcourue sur la carte, je me recouche un moment. Quand je reviens sur le pont et grimpe au mât pour la dixième fois afin de voir plus loin, mes deux dauphins sont encore là, semblables à deux fées dans la lumière qui baisse. Alors je redescends m'allonger un moment. C'est la première fois qu'il y a une telle paix en moi, car cette paix est devenue une certitude, une chose qu'on ne peut pas expliquer, comme la foi. Je sais que je réussirai, et je trouve ça absolument naturel, cette certitude absolue où il n'y a ni crainte, ni orgueil, ni étonnement. Toute la mer chante, simplement, sur une octave que je ne connaissais pas encore, et cela me remplit de ce qui est à la fois la question et la réponse. La longue route, Bernard Moitessier, 1968